Pour nourrir et faire croître notre vocation de « cisterciennes trappistes » nous puisons à diverses traditions « sources ».
Nos premières racines remontent à la tradition monastique des « Pères du désert » initiée par Antoine, le « Père des moines, seconde moitié du IIIème siècle.
Trois siècles plus tard, en Italie, Benoît de Nursie – « Saint Benoît » – écrit une Règle qui connaîtra une longévité exceptionnelle puisqu’elle demeure, aujourd’hui encore, le texte de référence de la plupart des monastères. Cette Règle, écoutée ensemble, chaque matin, lors de la rencontre communautaire en chapitre, esquisse la voie évangélique sur laquelle nous nous entraidons mutuellement à marcher.
A la fin du onzième siècle, en 1098, un petit groupe de moines, cherchant à revivifier la fidélité à cette Règle bénédictine, fonde Cîteaux – « le nouveau monastère ».
Quelque six siècles plus tard, l’Abbé de Rancé, à l’abbaye de la Trappe, propose une nouvelle réforme qui donnera naissance aux « trappistes ».
Saint Antoine et la tradition des « Pères du désert »
Saisi par la Parole du Seigneur : » Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as et donne l’argent aux pauvres. Puis viens et suis moi » (Mt 19,21), Antoine, tout jeune homme, s’enfouit dans la solitude du désert. Il y mènera une longue vie de prière et d’ascèse. De nombreux disciples suivant son exemple prennent la route du désert.
L’enseignement des Pères du désert est condensé dans les « Paroles », ou apophtegmes, que leurs disciples ont recueillis et qu’ils se sont transmis de générations en générations.
Ces « perles » de sagesse, fruit et suc de leur expérience, parlent et guident, aujourd’hui encore, ceux et celles qui s’engagent sur le chemin de la vie monastique.
Quel doit-être le moine ? ‘’À mon avis, comme seul en face du seul’’ (apophtegme anonyme)
Si un moine prie seulement lorsqu’il est debout pour la prière, un tel moine ne prie plus du tout (apophtegme anonyme)
Abba Antoine dit :
De notre prochain dépendent et la vie (zôè) et la mort. En effet, si nous gagnons notre frère, nous gagnons Dieu ; mais si nous scandalisons notre frère, nous péchons contre le Christ.
Abba Poemen dit :
La victoire sur toute peine qui te survient, c’est de garder le silence.
Il dit encore :
Se jeter en face de Dieu, ne pas se mesurer soi-même et abandonner derrière soi toute volonté propre, ce sont les instruments du travail de l’âme.
On demanda à Abba Macaire « Comment devons-nous prier ? » Le vieillard leur dit :
Il faut non faire de longs discours mais étendre fréquemment les mains et dire : Seigneur, comme tu le veux et le sais, prends pitié de moi ; et si le combat se poursuit : Seigneur, secours-moi ! Lui-même sait ce qui nous convient et nous fait miséricorde.
Abba Moïse dit à un frère :
Acquérons l’obéissance qui engendre l’humilité et qui apporte l’endurance, la longanimité, la componction (katanuxis), l’amour des frères et la charité ; car telles sont nos armes pour le combat.
Saint Benoît, sa Règle, la tradition bénédictine
Progressivement, la vie monastique initiée au désert d’Égypte s’est propagée jusqu’en Europe.
La vie solitaire subsiste encore, mais dans ce nouveau contexte, la vie monastique se développe de plus en plus dans une forme communautaire. Les moines, mus par un même propos, partagent leurs biens et vivent ensemble.
Cette évolution donne lieu à l’apparition de « Règles monastiques » qui tentent de définir et d’organiser cette vie commune. C’est ainsi qu’après Pacôme, St Basile, St Augustin, le Maître et beaucoup d’autres, St Benoît rédige, lui aussi, une Règle qui sera adoptée par de nombreux monastères en Europe, puis dans le monde entier.
S’inspirant de la tradition monastique du désert et puisant à la sagesse des règles préexistantes relues à la lumière de sa propre expérience, St Benoît s’adresse à toute personne
« qui veut la vie et désire voir des jours heureux » (Prologue v15 ; Ps 33 ,13).
Par sa Règle, il propose d’organiser « une école pour apprendre à servir le Seigneur » en traçant un chemin de vie fraternelle sur lequel chaque avancée contribue à dilater les cœurs. Chemin sur lequel chacun(e) progresse au rythme de la grâce qui lui est accordée, dans un coude à coude avec les frères/sœurs qui lui sont donné(e)s pour s’encourager, s’entraîner et s’entraider mutuellement. Car il ne s’agit pas de chercher à se sauver soi-même mais de réussir à
« parvenir tous ensemble » à la vie éternelle. (R.B. 72,12)
Cîteaux, le « Nouveau monastère«
Quatre cents ans plus tard, la lettre de la Règle semble oubliée. Beaucoup de moines ont perdu leur « bon zèle » mais quelques uns veulent le revivifier.
En 1098, ils fondent le « Nouveau monastère » de Cîteaux.
Extrait du « Petit Exorde », texte vraisemblablement rédigé par Étienne HARDING, 3ème abbé de Cîteaux. Ce texte expose le commencement de Cîteaux sur les plans historiques et juridiques.
Nous, les moines de Cîteaux, premiers fondateurs de cette Église, nous écrivons aux moines qui vont venir après nous. Par cet écrit, nous leur faisons connaître comment ce monastère a commencé, et de quelle façon nous avons vécu en ce lieu. (…)
En 1098, depuis que le Seigneur s’est fait homme, Robert est le premier abbé de Molesme, au diocèse de Langres. Avec quelques frères de Molesme, il va rendre visite à Hugues, homme digne de respect. À cette époque, Hugues est archevêque de Lyon et représentant du pape. Robert et ses frères promettent de mettre leur vie bien en ordre en pratiquant la Règle de saint Benoît, leur père.
Ils veulent être plus libres pour y arriver. C’est pourquoi ils demandent avec force à l’archevêque de les aider. Ils lui demandent aussi de leur obtenir la protection du pape.
Hugues se réjouit de leur projet et il donne son accord. Il écrit pour eux la lettre qui suit. Oui vraiment, par cette lettre Hugues pose les fondements de la communauté de Cîteaux.
» Moi, Hugues, archevêque de Lyon et représentant du pape, j’écris à Robert, abbé de Mosleme, et aux frères qui désirent servir Dieu avec lui, en suivant la Règle de saint Benoît.
Voici ce que je veux dire à toutes les personnes qui se réjouissent des progrès de la saint Église, notre mère. Vous-mêmes et quelques-uns de vos fils de Molesme, vous êtes venus me voir à Lyon. Vous avez dit que vous vouliez suivre, plus fidèlement et de façon plus parfaite, la Règle du très saint Benoît. Cette Règle, vous la suiviez déjà à Molesme, mais avec paresse et négligence.
Ce projet ne peut se réaliser à Molesme. Plusieurs raisons s’y opposent, c’est clair. Moi, je désire le bien spirituel de tous : le bien des frères qui quittent Molesme et celui des frères qui y restent. Je juge utile pour vous de partir dans un autre lieu. Dieu est généreux : il vous l’indiquera. Vous y servirez le Seigneur avec plus de profit et dans une plus grande paix.
Voici quelque temps, je vous ai donné ce conseil à vous tous qui êtes venus à Lyon : à vous, abbé Robert, et à vous, frère Albéric, Odon, Jean, Étienne, Létald et Pierre.
Maintenant, c’est un ordre que je vous donne : oui, restez fidèles à ce projet, vous tous et ceux que vous choisirez comme compagnons. Vivez selon la Règle et soyez bien d’accord entre vous. Je confirme pour toujours votre projet par mon autorité apostolique, et j’imprime ma signature au bas de cette lettre.
Saint Bernard de Clairvaux
Alors que la petite et pauvre communauté de Cîteaux peine à se développer, Bernard de Fontaine, qui deviendra Bernard de Clairvaux (St Bernard), arrive à Cîteaux en 1112 accompagné d’une trentaine de membres de sa famille. Il apporte ainsi un renfort providentiel à l’Ordre encore naissant.
Au cours des 38 années de son abbatiat, Bernard assista personnellement à la fondation de 65 monastères cisterciens.
Malgré l’intense activité qu’il déployait, il écrivit de nombreux ouvrages de spiritualité et de théologie. Tels que les Sermons sur le Cantique des Cantiques ; les Sermons pour l’Année (éditions des Sources Chrétiennes) ou encore le Traité de l’Amour de Dieu, le Traité de la grâce et du libre arbitre, le Traité de la Considération, le Traité des degrés de l’humilité et de l’orgueil…
Arrivée de Saint Bernard à Cîteaux
Saint Bernard à sa table de travail
Saint Bernard fit des émules et nombreux furent les Pères cisterciens qui allièrent les talents d’orateurs et d’auteurs.
L’ensemble de leurs œuvres constitue un riche héritage, une nourriture abondante.
Bernard de Clairvaux (1090 – 1153)
Apprends-nous Seigneur à faire souvent un court voyage : à aller jusqu’à nous pour aller jusqu’à Toi.
Guillaume de Saint-Thierry (1085 – 1148)
Viens consoler, Seigneur ma solitude, Donne-moi un cœur solitaire et, Viens me parler souvent.
Guerric d’Igny (1070/1080 -1157)
Seigneur Jésus, tu es le vrai jardinier, le cultivateur, le créateur, le gardien de ton jardin. Tu plantes par ta Parole, Tu arroses par ton Esprit et ta force donne l’accroissement … Bienheureux ceux qui habitent dans tes jardins, Seigneur, ils Te loueront dans les siècles des siècles.
Aelred de Rievaulx (1110 – 1167)
Celui qui T’aime parfaitement, c’est celui-là, Seigneur qui déjà T’a trouvé.
Parle, Seigneur, apprends-moi à T’aimer, à T’aimer de tout mon cœur, de tout mon esprit, à Te saisir au plus profond de mon être, Toi, mon unique bien et ma seule joie.
L’Ordre cistercien de la stricte observance (o.c.s.o.)
L’histoire semble souvent « bégayer » et se rejouer sans cesse. Cîteaux était né d’une aspiration à retrouver l’ardeur perdue des origines bénédictines et, à nouveau, au XVIIème siècle, un certain « déclin », comme une usure des cœurs, conduit à une nouvelle réforme.
L’abbaye de La Trappe, sous la houlette de son Abbé, l’Abbé de Rancé, impulse cette rénovation et donne vie au nouveau rameau approuvé par le Saint-Siège, par deux Brefs de 1677 et 1678. Dénommé d’abord « Ordre des cisterciens réformés de Notre-Dame de la Trappe » puis « Ordre Cistercien de la Stricte Observance » beaucoup le connaissent comme « La Trappe ».
Cette réforme proposait de revenir aux fondements du monachisme du désert insistant sur le repentir, le renoncement à soi-même, l’humilité et l’ascèse. C’est pourquoi la réforme se caractérisa par un grand attachement aux pratiques ascétiques telles que le silence, le travail manuel, essentiellement agricole, le jeûne… Malgré sa rudesse cette réforme connut un grand succès et « La Trappe » essaima sur tous les continents.
Quelques « trappistes » du XXème siècle
Bienheureux Joseph-Marie CASSANT (1878-1903)
Moine de l’abbaye Sainte-Marie du Désert (Diocèse de Toulouse) béatifié par Jean-Paul II en 2004.
Comment ne pas proposer aux chrétiens ce jeune frère trappiste qui, toute sa vie, n’avait eu qu’un seul désir, celui de plaire au Seigneur Jésus, en vivant selon sa devise personnelle :
Tout pour Jésus ?
Durant ces années qui précédaient la Première Guerre mondiale, notre frère Marie-Joseph était un tout petit aux yeux des hommes. Il manquait de confiance en lui. Ses lacunes humaines l’écrasaient.
De nos jours, il aurait pu rejoindre le nombre de plus en plus grand de ces hommes et femmes marginalisés par une société qui n’accepte que les forts. Il nous est bon de regarder le P. Cassant dans sa faiblesse, avec ses failles et ses manques humains.
Il a pu y faire vraiment face et développer le meilleur de lui-même grâce à l’amour de Jésus qui brûlait son cœur. Il est devenu un homme totalement tourné vers Dieu, ne vivant que de Lui et pour Lui. Il est l’un de ces petits pour lesquels nous pouvons rendre grâces à Dieu car sa vie nous laisse entrevoir que le Royaume de l’Amour nous est aussi proposé, dès à présent, quelles que soient nos faiblesses, notre fragilité, notre petitesse. » (Dom Jean-Marie Couvreur)
Saint Raphaël BARÔN (1911-1938)
est entré au monastère San Isidro de Duenas en Espagne. Il meurt en 1938. Béatifié en 1992 il a été canonisé, en 2009, par Benoit XVI.
C’est la troisième fois que j’enlève l’habit monastique… la première fois j’ai cru que je mourrais de chagrin… Je croyais que Dieu m’abandonnait. La deuxième fois je suis sorti en raison de la guerre… Je savais que mon retour au monastère allait me coûter… Je croyais que Dieu me mettait à l’épreuve. La troisième fois, celle-ci,… je vois si clairement la main de Dieu, que cela m’est égal… Maintenant je vois non pas que Dieu m’abandonne ou me met à l’épreuve… mais que Dieu m’aime.
Extrait du cahier de frère Raphaël au 7 février 1937
Bienheureuse Maria Gabriella (1914-1939)
est entrée à la Trappe de Grotta Ferrata en Italie en 1938. Elle offre sa vie pour l’unité des chrétiens et meurt en 1939 de tuberculose. Sœur Maria-Gabriella a été béatifiée en 1983.
Je ne veux pas que vous priiez pour ma guérison; mais priez pour que le Seigneur fasse de moi ce qui est pour sa plus grande gloire. Je suis heureuse de pouvoir souffrir quelque chose pour l’amour de Jésus. Ma joie devient plus grande quand je pense que le temps des vraies noces approche… Je me suis totalement abandonnée entre les mains du Seigneur et j’ai ainsi gagné au maximum. Je sens que j’aime mon Époux de tout cœur, mais je voudrais l’aimer encore plus. Je voudrais l’aimer pour ceux qui ne l’aiment pas, pour ceux qui le méprisent, pour ceux qui l’offensent. En somme mon désir n’est que d’aimer.
Lettre de sœur Maria-Gabriella à sa mère, le 6 juillet 1938
Thomas MERTON (1915-1968)
53px
Né en France, il vécut sa vie monastique aux États-Unis. Auteur prolixe, son autobiographie « La nuit privée d’étoiles » a connu un grand succès. Cherchant à vivre une large « fraternité spirituelle », Thomas MERTON fut un homme de dialogue engagé dans l’œcuménisme, le pacifisme.
Ô Dieu, nous sommes un avec Toi. Tu nous as fais un avec Toi. Tu nous as appris que si nous sommes ouverts les uns aux autres, Tu habites en nous. Aide-nous à conserver cet esprit d’ouverture et à lutter de tout notre cœur pour le préserver. Aide-nous à réaliser qu’il ne peut y avoir aucune compréhension mutuelle, s’il y a rejet de l’autre.
Les frères Christian, Luc, Célestin, Michel, Bruno, Paul et Christophe,
moines du Monastère Notre-Dame de l’Atlas en Algérie, furent enlevés puis tués en 1996 dans le contexte tragique de grande violence qui régnait alors dans ce pays.
Avec Monseigneur Claverie assassiné lui aussi quelques mois plus tard et les 11 autres religieux, religieuses tués dans les mêmes circonstances, les 7 frères de l’Atlas ont été béatifiés en décembre 2018.
En communauté ils avaient choisi de demeurer ensemble en ce lieu où ils s’étaient engagés à la « stabilité monastique ». N’ignorant rien du danger qu’ils encourraient, ils ont désiré partager jusqu’au bout le sort du peuple algérien, ces voisins, amis, collaborateurs, dont ils s’étaient faits proches et frères en vérité ainsi qu’en témoigne cet extrait du testament du frère Christian :
Je sais le mépris dont on a pu entourer les Algériens pris globalement. Je sais aussi les caricatures de l’Islam qu’encourage un certain islamisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes. L’Algérie et l’Islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l’Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église. Précisément en Algérie, et, déjà, dans le respect des croyants musulmans. Ma mort, évidemment, paraîtra donner raison à ceux qui m’ont rapidement traité de naïf, ou d’idéaliste : « Qu’il dise maintenant ce qu’il en pense ! » Mais ceux-là doivent savoir que sera enfin libérée ma plus lancinante curiosité. Voici que je pourrai, s’il plaît à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec Lui ses enfants de l’Islam tels qu’Il les voit, tout illuminés de la gloire du Christ, fruits de Sa Passion, investis par le Don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance en jouant avec les différences.